"Réformer les retraites appelle à se réconcilier avec le travail", par Robert Rochefort

Publié le par MODEM MARNE & CHANTEREINE - CHELLES

17 septembre 2010

Robert Rochefort

Robert Rochefort, député européen et vice-président du Mouvement Démocrate, a publié ce vendredi une tribune dans le quotidien Le Figaro :

Combien de manifestants du mardi 7 octobre pensent en leur for intérieur que d'ici quelques années on ne travaillera pas jusqu'à 62 ans ? Pas beaucoup réellement, malgré les slogans qu'ils scandaient à l'unisson. Cela n'enlève rien au profond mécontentement qu'ils souhaitaient énergiquement exprimer. Vu d'Europe, la singularité de la France - sur ce sujet en tous cas - est difficilement compréhensible. Il faut réformer les retraites et la révolution de la longévité humaine rend naturelle l'allongement des vies professionnelles, évidemment de façon progressive et juste, ce qui n'est pas le cas dans le projet du gouvernement. Il faut néanmoins chercher à comprendre ce qui peut faire que notre peuple déclare à 60 pour cent qu'il est opposé au passage à 62 ans.

C'est en déplaçant la question que l'on trouve la réponse. Le refus de travailler plus longtemps n'est rien d'autre que l'expression de la lassitude voire du désarroi face au travail lui-même tel qu'il est vécu ici et maintenant spécialement dans notre pays. Cela vient des évolutions récentes et se nourrit de l'ambiguïté des courants philosophiques qui ont construits notre pensée au fil de l'Histoire.


Le débat sur le travail est vieux comme le monde. Chez les Grecs, en être libéré était un privilège, celui de la classe apte à philosopher. Avec le Christianisme, le travail est valorisé comme une participation de l’homme au prolongement du mystère de la création divine, même si la stricte lecture des Evangiles est plus ambiguë ; le travail à lui seul ne saurait suffire à donner un sens à la vie. Plus tard, Thomas d’Aquin affirmera que, même dans les monastères, le travail est obligatoire. C’est un remède contre « l’oisiveté », un frein à « la concupiscence de la chair ».

Le siècle des lumières fait du travail une capacité de réalisation de l’individu, une façon de maîtriser la nature et la science. Puis, le marxisme le résume à un rapport d’exploitation, de spoliation de la plus value par le capitaliste. Mais il affirme pour autant qu’il n’y a pas d’autre lieu de création de valeur que le travail. Rappelons-nous enfin la grande controverse antérieure entre les physiocrates français pour lesquels la nature est la seule source de richesse et les Anglais, dont Adam Smith, qui mettent au contraire le travail à la base de l’enrichissement des nations.

Nous venons de là ; il en résulte des différences bien ancrées entre cultures nationales. D’un coté, les pays libéraux, où chacun doit par son travail faire prospérer ses talents. C’est l’éthique du labeur que Max Weber voit à l’origine du capitalisme. De l’autre une conception plus nuancée dont la France est le pays emblématique où cohabite vision critique et principe de réalité avec pour chaque individu, une position qui dépend bien évidemment de sa situation personnelle face à l’emploi.

Si nous en venons à la situation actuelle, plusieurs évolutions récentes n’ont pas abouti à clarifier les choses et ont même produit des effets paradoxaux. Les 35 heures tout d’abord : certes les salariés y ont gagné en temps libre, mais beaucoup d’entre eux ont connu un accroissement de stress et de fatigue quand il s’est agi de faire autant en moins d’heure de présence. Ces gains de productivité horaire ont creusé un peu plus la trappe à chômage en menaçant ou en excluant tous ceux incapables de tenir les nouveaux rythmes ainsi exigés. Autre sujet : la modernisation des services publics. Indispensable dans son principe, menée à vitesse forcée avec la privatisation de certains d’entre eux, elle a provoqué également des déstabilisations excessives dont on a vu certaines conséquences individuelles dramatiques : il n’est pas facile de se motiver pour le cours de bourse de ce qui était encore il y a peu une quasi-administration, de faire du marketing à tout va, de prendre des anciens usagers pour des clients, d’être en concurrence sur ses performances avec ses collègues de bureau quant on a passé plus de vingt ans avec un idéal professionnel façonné par l’idéal de service public. Quand aux jeunes, on abuse tellement à leur égard de stages mal rémunérés et de CDD ou de mission d’intérim à répétition. Comment peut-on espérer qu’ils restent motivés ?

Les jeunes actifs justement sont ceux qui ont vus leurs parents vivre les évolutions précédentes. Même lorsqu’ils obtiennent un emploi stable, ils développent une attitude beaucoup plus pragmatique à l’égard du travail. Dans beaucoup d’entreprises, elle ne cesse de surprendre. Tantôt, ils impressionnent par leur implication, par leur loyauté vis-à-vis de leur employeur. Tantôt, ils étonnent et déçoivent par leur résignation et la grande relativité qu’ils accordent à leur avancée professionnelle. Un embauché récent, diplômé et prometteur, pourra refuser une promotion car elle lui imposerait des changements dans sa vie familiale ou de loisirs qu’il ne veut pas envisager : rentrer chez lui plus tard le soir ou n’être pas assuré d’avoir ses week-ends sans contrainte professionnelle.

Les Français ne sont pas « paresseux », mais au moment où on leur demande de travailler plus longtemps il est urgent de les réconcilier – sans faire du moralisme – avec la « valeur travail ». C’est l’une des priorités des années à venir. Le travail doit redevenir pour le plus grand nombre – si ce n’est pour tous - l’un des pôles enrichissants de la vie personnelle. Lorsqu’on juge que « la vraie vie est forcément ailleurs », et c’est souvent le cas aujourd’hui, le travail est un échec et l’on souhaite s’en libérer le plus tôt possible. Le véritable projet pour demain, c’est de refonder le travail comme acte créateur pour tous, parfois même source de bonheur comme contrepartie de l’effort et de l’abnégation qu’il nécessite. Et cela évidemment à côté de la vie familiale, amicale, associative et de loisirs.

Au moment où l’on parle de développement durable, à l’échelle de la planète, il faut réinventer le « travail durable », celui qui ne détruit pas l’énergie à venir des salariés. Si l’expérience professionnelle n’est qu’une épreuve ou une lente lassitude – pensons aussi aux enseignants, au personnel hospitalier… -, une destruction nerveuse par les excès de stress, une usure prématurée des corps et des esprits, comment éviterons nous que salariés – mais aussi employeurs – ne continuent à favoriser des départs prématurés voulus ou imposés, transférant sur d’autres budgets sociaux la charge financière des personnes devenues inactives sans être encore retraitées ?

La réforme des retraites est urgente. Mais elle doit s’articuler sans attendre avec une réflexion collective, associant tous les partenaires concernés, sur le sens du travail, sur les pratiques de management, sur la formation au long de la vie, sur la revalorisation des métiers comme élément constitutif d’identité pour tous ceux qui les exercent, débouchant sur des engagements de meilleures pratiques dans les entreprises et les administrations. C’est indispensable, c’est un beau chantier, trop important pour que cela ne soit qu’une belle utopie.

Robert Rochefort
Député européen, vice-président du Mouvement Démocrate

Publié dans REFORME DES RETRAITES

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