Jean de la FONTAINE [1621 - 1695] - "L'Homme & son image" - Livret I - Fable 11

L’Homme et son image
POUR M.L.D.D.L.R.
 Un Homme qui s’aimait sans avoir de rivaux

Passait dans son esprit pour le plus beau du monde :
Il accusait toujours les miroirs d’être faux,
Vivant plus que content dans son erreur profonde.
Afin de le guérir, le Sort officieux
Présentait partout à ses yeux
Les Conseillers muets dont se servent nos Dames :
Miroirs dans les logis, miroirs chez les Marchands,
Miroirs aux poches des Galands,
Miroirs aux ceintures des femmes.
Que fait notre Narcisse ? Il va se confiner
Aux lieux les plus cachés qu’il peut s’imaginer,
N’osant plus des miroirs éprouver l’aventure.
Mais un canal formé par une source pure
Se trouve en ces lieux écartés :
Il s’y voit, il se fâche ; et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une Chimère vaine :
Il fait tout ce qu’il peut pour éviter cette eau.
Mais quoi, le canal est si beau
Qu’il ne le quitte qu’avec peine.
On voit bien où je veux venir :
Je parle à tous ; et cette erreur extrême
Est un mal que chacun se plaît d’entretenir.
Notre âme, c’est cet Homme amoureux de lui-même ;
Tant de Miroirs, ce sont les sottises d’autrui ;
Miroirs de nos défauts les Peintres légitimes ;
Et quant au Canal, c’est celui
Que chacun sait, le Livre des Maximes.

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